Le daisugi : Une alternative face à la déforestation ?
La menace qui plane actuellement sur notre planète vient de la déforestation qui atteint des niveaux de plus en plus inquiétants, notamment en Amazonie.
Une technique ancestrale japonaise vient au goût du jour sur les réseaux sociaux : le daisugi.
Tout d’abord : le cèdre
Au Japon, pousse un superbe conifère dont le tronc peut atteindre 4 mètres de circonférence et la hauteur pouvant 60 mètres. Ce cèdre connu localement sous le nom de 'Sugi' est également appelé "Cèdre de Kitayama" en raison du nom de la province où il pousse, est souvent planté à proximité des temples. Pour pousser, ce bel arbre a besoin de pluies régulières et d'un climat doux, entre 200 et 1100 mètres d'altitude, et d'un sol fertile et léger. C'est ainsi qu'il prospère dans les montagnes autour de Kyoto, où il est utilisé en foresterie. Cependant, cette opération n'a rien à voir avec les opérations traditionnelles car elle est réalisée en hauteur dans le but de produire le maximum de bois dans le minimum d'espace tout en abattant peu d'arbres.
Son bois est utilisé pour construire des poteaux décoratifs ou la structure des maisons de thé. Apprécié pour sa couleur marron/rose, sa texture fine et son parfum, il est prisé dans l'ébénisterie japonaise depuis des siècles.
D’où vient l’idée
Comme nous l'avons vu, le cèdre du Japon nécessite des conditions climatiques très spécifiques pour bien pousser, et les forêts dans lesquelles il est extrait sont trop étroites pour pousser à grande échelle. Il faut donc trouver une solution ! Nos amis japonais ont décidé d'utiliser la verticalité pour faciliter une croissance exponentielle en hauteur, rentable depuis des décennies, au lieu du système classique de plantation/coupe qui prend trop de place et de temps. C'est ainsi que la célèbre technique " Daisugi " (台杉) est née au milieu de la période Muromachi vers 1400 après JC.
Daisugi, qui signifie littéralement "table de cèdre", a été créé spécifiquement pour pallier le manque d'espace nécessaire pour que la forêt s'étende et la pénurie de semis. C’est une technique d’élagage ayant pour but d’inciter le cèdre du Japon à pousser plus verticalement parfaitement droites, uniformes et sans aucun nœud dans les forêts très petites.
Pour ce faire, les branches ont été taillées de manière à ne conserver celles qui poussent vers le haut. En conséquence, le cèdre ressemble à un bonsaï géant avec de longues tiges pointant vers le ciel, lui donnant un aspect non naturel mais spectaculaire.
Au 14ème siècle, les samourais appréciaient les maisons en bois de forme très droite et stylisé. Ce style d'architecture résidentiel est appelé Sukiya-zukuri 数寄屋造り. La caractéristique du Sukiya-zukuri est l’utilisation de matériaux naturels. Construire et décorer les maisons exigeaient donc beaucoup de bois mais les forêts ne produisaient pas assez de bois pour construire ces habitations.
Pour avoir la matière première nécessaire à ces constructions, les japonnais ont une l’idée d’utiliser les techniques de bonsaï sur les cèdres. Le cèdre spécialement cultivé est fortement taillé (pensez comme un bonsaï géant) pour produire des "branches parfaites".
La technique du daisugi a permis de répondre à la problématique architecturale des samourais.
En quoi, repose cette technique ?
Cette technique d'élagage, conçue comme une "solution à la pénurie de semis" dans les conditions naturelles difficiles des forêts étroites consiste à tailler tous deux ans, délicatement à la main les jeunes pousses en ne laissant que les branches supérieures afin qu’elles poussent bien droites. De cette façon, un arbre peut produire jusqu’à cent branches à la fois.
Le bois ainsi produit est 40 % plus flexible que le bois de cèdre coupé sur pied et également deux fois plus dense. Il convenait donc parfaitement pour confectionner les chevrons et autres éléments de toiture dans ce pays ou les typhons sont fréquents.
La technique
- 5 à 6 ans après sa plantation, le cèdre est taillé dans le but de lui donner sa forme de support de culture (toriki). Les branches basses sont gardées. Les branches supérieures sont élarguées. Seules 3 ou 4 branches sont gardées.
- 2 ans plus tard lorsque le diamètre des branches gardées mesure 3-4 cm tous les départs de branches latérales sont supprimés afin d’obtenir des branches verticalaes. Seule la somité est gardé.
L’exploration des branches se fait au bout de 20 ans. Cela peut sembler long mais l’arbre est capable d’assurer une bonne production pendant 200 à 300 ans ! Passé ce temps il perd de sa vigueur mais il peut vivre encore longtemps. Le Cryptomeria japonica du sanctuaire de Misaka à Nagano a entre 1500 et 2000 ans
Des bonsaïs géants
La demande de bois à diminué au XVIe siècle mais l’engouement pour les jardins japonnais est resté et cette pratique a perduré. Les grands cèdres ont été façonnés d'une manière si unique que même lorsque la demande de bois a chuté, le besoin de jardins d'ornement a occupé les gardes forestiers.
Les cèdres sont robustes et leur croissance est importante. Ils peuvent produire chacun plus de 300 ans de nouvelles pousses. Par conséquent, dans les forêts japonaises, en particulier dans la région de Kitayama au nord de la ville de Kyoto, où la technique du daisugi était largement utilisée, il est encore possible de trouver des daisugi géants abandonnés et toujours en vie. et d’admirer de très anciens cèdres ainsi travaillés. Certains d’entre eux ont des troncs de plus de 15 mètres de circonférence.
Une souche, plusieurs arbres
Généralement, une souche de cèdre peut contenir jusqu'à une douzaine de nouveaux "troncs" qui poussent à partir de branches existantes. Avec cette façon "traumatique" de tailler les conifères, les branches qui émergent sont droites, souples et sans nœuds, elles ne cassent donc pas facilement. Ce qui est souhaitable dans le cadre de construction de charpente ou d'autres éléments de construction.
Jusqu’à 300 ans de collecte
Pour obtenir le meilleur rendement de ces arbres, qui poussent naturellement plus vite que les autres, les élagueurs effectuent un entretien tous les 2 à 4 ans. Le but de cette opération est d'éviter que l'arbre ne s'étende sur la largeur, tout en supprimant les branches qui peuvent apparaître sur les branches verticales. Il ne reste que la tige nue avec quelques feuilles sur le dessus.
Les branches devenues troncs sont ramassées tous les 20 ans environ pour obtenir la meilleure longueur et la meilleure solidité. Les branches d'un même cèdre peuvent être coupées toutes en en même temps ou partiellement.
Une alternative face à la déforestation ?
Les forêts du monde entier subissent le même sort. A l'image de l'Amazonie, la déforestation sévit dans de nombreuses régions du globe pour plusieurs raisons : expansion agricole, développement des zones urbaines, projets d'infrastructures ... Beaucoup voient dans la technique du daisugi une alternative afin de lutter contre la destruction de nos forêts.
Faire pousser des arbres sur des arbres pourrait devenir une nouvelle façon de produire du bois en grande quantité sur une surface moindre et sans abattage.
Le cèdre, endémique au Japon, a été cependant été planté dans d’autres pays d’Asie et même en Europe (Languedoc Roussillon, Limousin, Bretagne Normandie ainsi qu’à la Réunion.
Le daisugi au Japon maintenant ?
Les structures architecturales modernes au Japon remplacent les structures traditionnelles. Les mesures de protection contre les incendies ont également limité la demande de bois de cèdre. La production s’est réduite de 2/3 et le daisugi est utilisé maintenant dans les parcs et jardins pour ses qualités ornementales.
Tout cela ne vous rappelle rien ?
Une technique de production se rapprochant de la technique du daisugi était également pratiquée en Europe, sous la forme de «trognes», appelés aussi arbres tétarts, arbres taillés depuis le Moyen Âge. A cette époque, les arbres appartenaient aux seigneurs et il était interdit aux agriculteurs de les abattre, mais ils pouvaient les tailler tous les 5 ans. Ils obtenaient des rendements renouvelables à long terme pour produire de l'alimentation animale, des matières premières pour le tissage, la création de petits objets ou du bois de chauffage.
Jusqu'au milieu du XXe siècle, chaque région privilégiait une espèce bien précise en fonction du climat ou des matériaux recherchés. Saule pour le tissage, charme, châtaignier ou chêne pour le bois de chauffage, tilleul, peuplier ou sycomore dans les voies urbaines, mûrier dans les régions séricicoles...
Actuellement les trognes sont étudiées en agroforesterie pour leur intérêt majeur dans la valorisation de la biodiversité ainsi que dans la production de biomasse favorable aux cultures.
Si vous voulez en savoir plus sur les trognes, c’est ici.